Récits d'accompagnements

Le questionnement et le désaccord comme marqueur du vivant dans l’équipe.

Interview de Simon Bestel, co-fondateur du projet FEVE

Simon, peux-tu m’en dire plus sur le projet FEVE, Fermes En Vie ?

Notre projet est d’aider à l’installation d’exploitations en agroécologie, en soutenant les porteurs de projets tant dans la structuration de leurs projets que dans l’installation et l’achat de la ferme.

FEVE a deux ans et nous avons jusque-là acheté 5 fermes, soit 5 installations. Notre objectif est de poursuivre pour arriver à 10 installations d’ici la fin de l’année.

Nous fonctionnons en deux temps : d’abord, nous évaluons le projet et le ou les porteurs du projet sur plusieurs aspects : sont-ils prêts à s’installer ? Ont-ils les compétences requises ? L’idée est-elle aboutie ? Où en est la structuration et les possibilités de financement de leur installation ? Nous cherchons alors à qualifier les projets, pour voir s’ils sont alignés avec l’approche agroécologique que nous défendons.   

Ensuite, nous recherchons des fermes disponibles, qui sont en cours de transmission, pour faire un « mariage » projet / ferme.

Nous accompagnons toujours des reprises de fermes car pour nous, c’est l’un des gros enjeux de l’agriculture demain et c’est un moment opportun pour une transition vers l’agroécologie. C’est difficile de transformer un projet agricole, lorsqu’on ne l’a pas pensé en tant que tel dès le départ, surtout après avoir investi beaucoup dans un outil ou une installation. Le moment de la reprise est idéal pour « sortir du rang », changer de projet.

Nous connaissons aussi la difficulté de faire payer des agriculteurs sur leur phase de projet. C’est pour cela que dans le modèle de FEVE, ce sont les particuliers qui financent l’accompagnement, le suivi et la coordination de l’installation des projets de fermes. Jusque-là, nous avons déjà levé 3 M€ à investir dans ces projets. Nous nous relions aussi à des partenaires déjà sur place, des institutionnels souvent.

 

Comment interprétez-vous votre nom, Fermes en Vie, et comment interprétez-vous le terme « vivant » ?

Pour nous, la vie est associée à la résilience : la vie s’adapte en permanence et c’est ce qu’on veut retenir du terme « vie », la durabilité. Une ferme en vie, c’est une ferme qui soit en mesure de résister, de poursuivre son activité nourricière, nourrir les populations locales ou au-delà, quel que soit les enjeux auxquels il faut faire face (climat, artificialisation des sols, …). Nous pensons que c’est l’agroécologie la bonne réponse, avec des gens bien formés, et prêts à travailler pour les autres en opposition au repli sur soi de certaines pratiques, où on produit pour soi, ses amis et ses propres convictions.

On choisit l’agroécologie parce qu’elle porte en elle, elle réplique, le fonctionnement du vivant, soit la résilience et l’adaptation permanente aux contraintes environnementales. C’est ce qui nous pousse à accompagner ces structurations.

Et si on applique le terme « vivant » à l’humain : qu’est-ce qui est vivant dans votre équipe pour développer ce projet ?

On s’applique cela entre nous, de façon non formalisée. L’enjeu, pour nous, est de garder cette adaptabilité dans notre propre équipe, garder la spontanéité, malgré le fait que l’équipe grossit. Aujourd’hui, nous sommes une dizaine de personnes.

Pour moi, une « équipe vivante », c’est une équipe spontanée, adaptable, une équipe autonome et qui prend des initiatives dans ses attitudes au quotidien. C’est aussi une équipe qui pose des questions, qui nous challenge. Ils sont d’accord ou pas, et ils expriment leurs accords et leurs désaccords.  

La plus grosse alerte que je vois, c’est quand tout le monde est d’accord et aligné rapidement sur tout et que l’équipe ne réagit plus aux propositions : ça m’interroge, « l’équipe est-elle toujours en vie ? ». Ça se travaille au quotidien, d’autant que sur les 10 personnes, nous sommes 4 associés, ce qui pèse beaucoup.

En tant qu’associés, notre rôle est de donner la direction sans imposer une action, une méthode, une façon de faire. Donner une direction, sans imposer les choses, c’est un équilibre délicat.

Et pour toi, une « équipe fanée », ce serait quoi ? Quel est le principal obstacle au maintien du vivant dans l’équipe ?

Qu’est-ce qu’on voit d’une « équipe fanée » ? Le symptôme, pour moi, c’est que les membres de l’équipe perdent en spontanéité, en échange, en proposition. Lorsque les membres de l’équipe ne sont plus une force motrice, c’est que quelque chose ne se passe pas ou plus (dans l’entreprise ou à l’extérieur). La perte d’enthousiasme, c’est une alerte. C’est que quelque chose empêche l’expression, l’émergence de la différence, d’avis différents.

Les causes ne viennent pas toujours de l’entreprise. Si ça vient de l’entreprise, de mon expérience, c’est souvent lié à des modes de hiérarchie forts qui peuvent brider l’expression et les collaborateurs, ou au fonctionnement de l’équipe. Nous sommes favorables au fait que les porteurs de responsabilités soient intégrés au sein des équipes pour sentir les signaux faibles justement.

Chaque entreprise a sa propre dynamique, sa propre façon de travailler. Nous sommes une jeune entreprise (2 ans), porteuse de sens et c’est ce qui fait que les gens nous rejoignent et ont envie de travailler avec nous. Les attentes sont fortes de la part des salariés.

Côté associés, nous discutons souvent entre nous autour de la mission de FEVE, pour rester centrer et s’assurer qu’on va toujours dans la bonne direction. On regarde cela aussi régulièrement avec nos salariés : s’ils nous font ce retour là et restent engagés, malgré le fait que ce ne soit pas toujours confortables et pas toujours lisse dans ce type de projet, engagé et jeune, c’est bon signe.

L’objectif, c’est que ça s’auto-entretienne, que la structure attire à elle des personnes qui sont dans la même dynamique.  

Merci Simon pour tes réponses et tes éclairages !

En savoir plus sur le projet FEVE  : https://www.feve.co/